LES ECRITS
De l’art comme “gestalt” d’une éducation pour temps de crise.(Publié in Gestalt n°13-14 mai 1998 pages 211-221 Revue de la Société Française de Gestalt) Qu’est ce qu’un « point de vue philosophique »?.
Je suis sensé parler en « philosophe ». Si l’on en croit les diverses étymologies, la philosophie serait l’amitié de la sagesse ou la sagesse de l’amitié. Ainsi, philosopher serait un acte de réflexion conviviale et il n’est pas indifférent que la philosophie occidentale s’inaugure, non pas avec un traité d’un penseur en chambre, mais avec les Dialogues de Platon. Dès lors, le point de vue philosophique ne saurait être considéré comme « supérieur ». Il se manifeste dans la décision d’ouvrir des problématiques nouvelles à l’espace humain puisque, selon le mot de Malebranche, l’esprit se sent toujours du mouvement pour aller plus loin. Si les périodes « glorieuses » (comme on parle des « trente glorieuses ») peuvent reléguer le questionnement philosophique dans les scolastiques stériles ou le luxe intellectuel, les années de crise, et nous y sommes, conduisent peu ou prou tout un chacun à s’interroger sur les évidences du monde et donc à philosopher. C’est dans cette situation bien précise que je m’attacherai à développer devant vous quelques réflexions, en posant d’emblée que l’art possède avec la philosophie l’avantage et l’inconvénient de changer le regard sur le monde. Ces deux activités, par delà les répétitions des pensées acquises suivies régulièrement par les désenchantements des pensées mortes, entretiennent en nous le goût permanent de naître comme le note avec bonheur Maurice Béjart : « Je n’en finis pas de commencer ma vie, quand je pense qu’il y en a qui n’attendent pas d’avoir vingt ans pour commencer leur mort » (1)
1 – Le rapport extérieur de l’art et de l’éducationUne première figure de l’art dans l’éducation consiste à en faire un « supplément d’âme » plus ou moins académique, un peu ce « soupir de l’âme accablée » dont parle Marx à propos de la religion. Il y a là tout un rapport décoratif à l’art. Il faut bien des toiles de maîtres pour relever l’insignifiance des propos de certains salons. Des références culturelles permettent d’alimenter des conversations et L’irrésistible ascension sociale de Monsieur Lambert de Sempé passe obligatoirement par des phrases définitives sur l’art contemporain. Dans cette perspective, la science serait sérieuse et l’art léger et en tout cas exogène par rapport à un noyau dur des évidences. Le référent premier serait la rationalité pratique et l’art peut être relégué dans des « matières à option ». Finalement, et malgré quelques envolées lyriques, nous pensons que nous pouvons très bien vivre sans art (et sans philosophie), mais que, cependant, notre culture doit comporter des connaissances artistiques et quelques pensées nobles et bien senties censées mettre un peu de relief dans une quotidienneté extra plate. Le langage d’ailleurs nous trahit. Nous réclamons budgétairement le 1% culturel : les autres 99%, et d’abord le budget de l’Éducation Nationale financeraient-ils des actions qui n’ont rien à voir avec la culture ? A la grande époque des MJC, il m’est arrivé, lors de rencontres à l’étranger, de ne pouvoir expliquer ces fameuses « maisons des jeunes et de la culture » qui, aux yeux de mes interlocuteurs, ne pouvaient être que des lycées! Serait-ce que nos établissements d’enseignement ne seraient fait ni pour les jeunes ni pour la culture? (De mauvais esprits me soufflent qu’ils sont fait pour les professeurs et les concours!) Ainsi, nous avons beaucoup de difficulté à situer des types d’activités artistiques ou culturelles dans l’univers de la techno-science monétarisée qui constitue l’évidence de cette fin de siècle. L’appel à la culture traduit-il la défense d’un pré-carré de 1% de création dans un océan de répétition ou bien la prise de conscience de la nécessité d’une recomposition fondamentale des rapports de l’être au monde et de l’art de vivre au sein de ce qu’il est convenu d’appeler une éducation ?
2 – Mythos, Logos, Eros, En réaction contre la dimension univoque de l’éducation la plus généralement répandue, il convient de rappeler que toute activité humaine, se décline selon trois dimensions intrinsèquement liées et que la maladie de la culture consiste à vouloir les séparer dans une schizophrénie mortelle. Le Mythos me renvoie à l’imagination, à la projection vers l’avenir, à ce qui fait sens, à ce qui m’ouvre à la totalité du monde. L’action la plus simple, fût-ce celle de se lever le matin, postule chez l’être humain de l’espoir et du sens. Le Logos constitue la capacité d’enchaîner rationnellement des rapports de cause à effets et de construire du savoir cumulable. L’Eros affirme l’énergie désirante présente dans chaque être humain. Le danger des « pensées uniques », hélas florissantes de nos jours, consiste à se crisper sur un seul aspect de l’acte humain ce qui conduit à s’enfermer soit dans de l’identitaire religieux, idéologique ou délirant, soit dans l’addition de savoirs et de techniques, soit enfin dans une érotique sans but enfermée dans sa propre exacerbation. Or, il n’y a pas à choisir. L’art de vivre en humain passe par la capacité d’exister dans ces trois registres irréductibles de l’humain. Il m’apparaît que l’activité artistique constitue la voie royale pour l’apprentissage de cette intégration : aucun art n’est possible sans un contact renouvelé de ses sources désirantes et un réajustement des rapports de l’artiste avec son inconscient, sans des techniques précises et le corps à corps avec une réalité matérielle, sans une vision ou un pressentiment d’une nouvelle façon d’habiter le monde. En ce sens, loin de paraître optionnel, l’art constitue l’archétype d’une activité humaine non mutilante. Elle est à la fois épreuve de soi, épreuve de la matière et épreuve du sens et par là se situe au cœur de l’éducation. Parlant de l’université allemande , Nietzsche écrivait ceci: « Le rude ilotisme auquel l’effrayante étendue des sciences a condamné de nos jours chaque individu est l’une des raisons principales qui font que des natures plus pleines, plus riches, plus profondes, ne trouvent plus d’éducation ni d’éducateurs à leur mesure. Ce dont notre culture souffre le plus, c’est d’une pléthore de tâcherons arrogants, d’humanités fragmentées » (2). Cent ans après, il serait présomptueux de penser que la situation se soit améliorée et qu’elle ne concernerait que l’Université allemande ! Aussi, autant je ne vois pas grand sens à rajouter de nouvelles « fragmentations » dites artistiques à la pléthore de celles qui existent déjà, autant une recomposition de l’éducation à partir de qui se joue dans une pratique artistique me paraît fécond.
3 – L’art comme espace-temps de reformulation des paradigmes. Mon propos, je l’ai dit en commençant, se situe dans la période de crise sociale et culturelle grave que nous traversons. C’est dans cette situation que l’activité artistique constitue un « passage » privilégié. Heidegger, dont la philosophie n’a pas su éviter de sombrer dans celle du destin, a pressenti le climat de notre temps lorsqu’il écrit : « Nous venons trop tard pour les dieux et trop tôt pour l’Etre. L’homme est un poème que l’Etre a commencé » (3). Entre nostalgie et pressentiment, le poème de l’homme se dit dans l’œuvre d’art, figure vivante des temps qui viennent. Comment caractériser la crise actuelle? Elle porte à la fois sur l’économie, le lien social et le sens. Elle conduit à l’épuisement de la réduction de toute activité à la marchandise, la perte d’identité que donnait le travail accessible à tous. Les deux grands récits qui faisaient sens à l’Est et à l’Ouest, celui du sens de l’histoire et celui de la croissance s’écroulent dans un fracas d’idoles brisées. Nous sommes condamnés, comme le disait Gaston Berger , à être tous des inventeurs: « Nous sommes dans un monde où il n’y aura bientôt plus de place que pour les inventeurs. Tout le monde doit inventer, à tous les niveaux (…) Là où l’invention sera inutile, la machine, progressivement, remplacera l’homme, et le drame ce sera comment savoir employer ceux qui n’auront pas ces capacités d’invention » (4). Je voudrais évoquer quelques aspects de reconstruction que peut nous apporter l’œuvre d’art: – Le modèle du travail vécu comme transformation des choses dans une quête productiviste qui consiste à débusquer toute perturbation du sujet dans la production et à produire des quantités indéfinies qui saturent les marchés, arrive aujourd’hui à une impasse. L’art nous apprend un rapport à l’œuvre à travers laquelle la transformation des choses n’a de sens que s’accompagnant de la transformation de soi. A l’aplatissement du règne de la quantité, elle répond par la notion de plénitude, de finitude, d’équilibre. – On nous a appris que le temps c’est de l’argent, durée indifférenciée à remplir par la production et la consommation. Dès l’école, les jeunes sont invités à rentrer dans la course à la performance qui sature tout l’espace En rupture avec cette frénésie, toute oeuvre d’art commence par un rythme où la vie exprime ses pulsions les plus secrètes. A la course à la compétition, elle substitue le respect et l’écoute de son propre souffle. Bien des poètes et des musiciens expliquent qu’à l’origine de leur œuvre, il y a une sorte de rythme qui sourd d’eux mêmes, s’impose à eux et les obsède jusqu’à la création, comme le note Jean-Louis Barrault: « Notre existence consiste : à donner, à recevoir, à être. (…) Quels que soient le continent de la planète, le système philosophique ou la foi religieuse, la vie est régie selon le grand ternaire fondamental. Trois courants complémentaires dont la résultante est la force vitale cosmique » (5). – La jungle économiste mondialisée induit une compétition toujours plus stressante. L’autre est un adversaire à qui je dispute les mêmes valeurs quantifiées L’œuvre d’art postule l’idée de différence. Elle vise à révéler la vision originale d’un être humain. Elle n’est ni cumulative, ni excluante, mais elle ouvre à la diversité des mondes, et en cela elle est profondément démocratique. A la compétition avec l’autre pour conquérir du même, elle substitue une dialectique spirituelle de combat-réconciliation avec soi. – L’accumulation des savoirs conduit à des « embouteillages de connaissances » au point de perdre toute vision globale d’une signification. Dans son roman prophétique écrit en 1938, La Grande Beuverie , René Daumal dresse un tableau saisissant de l’addition des savoirs conduisant à l’impasse: « Par la lorgnette, je vis en effet, à l’extrême bout de la galerie, l’Omniscient. C’était un globe crânien énorme avec un petit visage amorphe et chiffonné, qui me parut accroché par les oreilles aux deux boules d’ébène surmontant le dossier d’un trône élevé. (…). Au-dessus du trône courait une banderole portant cette inscription : je sais tout, mais je n’y comprends rien » (6). L’œuvre d’art postule un sens, un horizon, une gestalt, un engagement personnel dans la signification du monde, car le sens y est vécu dans toute sa sensualité et non dans la schizophrénie abstraite où le savoir sur les choses dispenserait d’une expérience du monde. – La modernité a exacerbé l’individualisme. Tous les liens traditionnels ont été bousculés par l’épopée de l’individu, sujet de droit et se déchargeant sur un État Providence de tout souci d’autrui. Les fractures sociales remettent en question cette juxtaposition de solitudes. L’œuvre d’art ne saurait se concevoir sans perspective de lien humain. Le poète le plus solitaire, le peintre le plus personnel s’expriment pour d’autres, pour que sa production retentisse dans des consciences individuelles. Toute oeuvre d’art crée un espace-temps d’une micro société, formelle ou informelle, consciente ou non, permettant des médiations vers de nouvelles façons d’être au monde: « Le théâtre n’est pas seulement un jeu, un metteur en scène, des acteurs, des spectateurs et une salle, mais il représente beaucoup plus : c’est un foyer particulier de la vie sociale et spirituelle qui contribue à la création de l’esprit du temps, qui donne vie à sa fantaisie et à son humour. C’est une forme de prise de conscience sociale insérée de façon unique dans l’espace et le temps concrets » (7). – La pensée moderne qui se veut pragmatique prétend incarner le « cercle de la raison » hors duquel il n’y aurait que de la pulsion irresponsable. De là le règne, dans tous les domaines, de la pensée unique, et des réalités dites « incontournables ». L’œuvre d’art ouvre au foisonnement du sens en reconnaissant dans l’œuvre plus que la subjectivité de son créateur ainsi que l’écrit Vaclav Havel: « L’art est une sorte de « jeu avec le feu »; l’artiste utilise une matière sans la connaître parfaitement, il crée quelque chose sans savoir parfaitement ce qu’il crée et ce que cela va signifier. Une oeuvre devrait être, selon moi, toujours plus « intelligente » que son auteur et lui-même devrait la regarder étonné et plein de questions comme s’il la voyait ou la lisait pour la première fois » (8). A la notion d’une suite logique univoque, l’art affirme la rupture de l’événement. – Finalement, pour reprendre les catégories fondamentales de la pensée d’Emmanuel Levinas, l’instruction risque de conduire à la répétition indéfinie du Même. Par sa singularité et son apparition non programmée, l’œuvre d’art nous ouvre à l’Autre dont le visage d’autrui constitue l’épiphanie. Dans un entretien avec Françoise Armengaud à propos de l’œuvre de Sacha Sosno, Levinas voit dans la pratique de l’oblitération chez l’artiste, la vérité dernière de l’art qui accepte la finitude humaine et par delà l’illusion esthétisante accède à « un des modes privilégiés pour l’homme de faire irruption dans la suffisance prétentieuse de l’être qui se veut déjà accomplissement et d’en bouleverser les lourdes épaisseurs et les impassibles cruautés« (9). On excusera le caractère un peu systématique de ces oppositions dû au cadre bref de mon intervention. Elles constituent à mes yeux des repères à partir desquels nous pouvons penser l’œuvre d’art dans toute démarche d’éducation et tenter de maintenir un espace où la grâce d’exister puisse se dire et s’exprimer sans lequel l’éducation sombre dans l’insignifiance de la marchandise. Pour conclure… Je viens d’évoquer le mot de « grâce » qui, dans la langue française évoque à la fois le rapport du divin en l’homme, la gratuité et la beauté. S’il y a une « culture » qui obture ce rapport à la grâce, l’art nous ouvre à des commencements et toute sortie de crise ne peut se faire que sous le mode d’une naissance à une nouvelle vie. C’est ce qu’exprime ce texte frémissant d’Antonin Artaud: « Jamais, quand c’est la vie elle-même qui s’en va, on n’a autant parlé de civilisation et de culture. Et il y a un étrange parallélisme entre cet effondrement généralisé de la vie qui est à la base de la démoralisation actuelle et le souci d’une culture qui n’a jamais coïncidé avec la vie, et qui est faite pour régenter la vie. (…)Le plus urgent ne me paraît pas tant de défendre une culture dont l’existence n’a jamais sauvé un homme du souci de mieux vivre et d’avoir faim, que d’extraire de ce que l’on appelle la culture, des idées dont la force vivante est identique à celle de la faim.Nous avons surtout besoin de vivre et de croire à ce qui nous fait vivre et que quelque chose nous fait vivre, – et ce qui sort du dedans mystérieux de nous-mêmes, ne doit pas perpétuellement revenir sur nous-mêmes dans un souci grossièrement digestif » (10). A une époque qui a perdu ses repères, l’art peut rappeler ce que Baudelaire appelait de mystérieuses « correspondances ». A un monde qui soigne son angoisse par le bavardage médiatique, le musicien invite à un silence où peuvent s’entendre ces premiers mots qui font que le monde n’est pas un pur chaos. C’est ce que ressent Mozart, deux mois avant sa mort qui, revenant d’une représentation de La Flûte Enchantée écrit ces mots à sa femme: « Je reviens à l’instant de l’Opéra ; il était plein comme toujours. Le duo Mann und Weib et le glockenspiel ont été bissés comme d’habitude. De même que le trio des jeunes garçons, au 2e acte – mais ce qui me fait le plus plaisir, c’est le succès silencieux » (11). A une époque obsédée par ses sécurités et ses acquis, l’artiste peut être cet éveilleur, dérangeant pour tous les ordres du pouvoir, du savoir et de l’avoir, qui redonne le goûts de nouveaux exodes à la recherche de ce « je ne sais quoi qui se trouve d’aventure » (12) que chante le poète mystique Jean de la Croix. Loin de détourner les jeunes de leur avenir, l’invitation au voyage et à la création qui réside en toute authentique œuvre d’art devient capitale dans un monde où selon Gaston Berger, l’invention concerne tout le monde et la coopération doit peu à peu prendre la place de la compétition: « Nous ne pouvons plus travailler tout seul; nous ne pouvons plus découvrir tout seul (…) Un encouragement peut vous être donné sur ce point par les disciplines dites de culture, c’est à dire, au fond, par les arts. Il y a une propriété des biens matériels qui fait que des occasions de conflit s’offrent sans cesse. Les biens de la culture sont à tous et ils se partagent sans s’affaiblir. Au contraire, si je vais au concert avec mon ami, ou si je parcours un musée avec cet ami, mon plaisir se doublera de celui qu’il éprouve. Et ainsi, la culture, au moment où la technique nous angoisse, où nous sommes pris dans nos conflits (…) nous aidera-t-elle à voir que le monde plein de possibilités vers lequel nous allons est susceptible de prendre un sens » (13).
Bernard Ginisty
(1) Maurice BEJART, Gaston BERGER : La mort subite. Journal intime. Editions Librairie Séguier, 1990, page 15.
(2) Friedrich NIETZSCHE : Le crépuscule des idoles in Œuvres philosophiques complètes, Tome VIII, 1 Editions Gallimard 1974, page 103.
(3) Martin HEIDEGGER : L’expérience de la pensée in Questions III, Editions Gallimard, 1984, page 21.
(4) Gaston BERGER : L’homme moderne et son éducation, Editions Presses Universitaires de France, 1962, page 145.
(5) Jean-Louis BARRAULT : Saisir le présent, Editions Robert Laffont, 1984, page 176.
(6) René DAUMAL : La grande beuverie, Editions Gallimard, 1986, pages 105-106.
(7) Vaclav HAVEL : Lettres à Olga, Editions de l’Aube, 1990, page 142
(8) Idem, page 200.
(9) Emmanuel LEVINAS : De l’oblitération, Editions de la Différence, 1990, page 7.
(10) Antonin ARTAUD : Le théâtre et son double, Editions Gallimard, 1974, pages 11-12.
(11) Wolfgang Amadeus MOZART, Lettre à sa femme des 7 et 8 octobre 1791 in Correspondance, Tome V, Editions Flammarion 1992, page 251.
(12) JEAN DE LA CROIX : Poésies complètes, traduction de Bernard Sesé. Editions Les Cahiers Obsidiane, 1986, page 94.
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(13)Gaston BERGER : op.cit. page 148.
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D’une épargne terroriste à une épargne solidaire : pour des zones
civilisées d’un nouveau commerce.
Conférence à Ferney-Voltaire le 17.03.1999 au Groupe d’Echanges sur les Réalités Internationales GERI
« Rien n’était plus logique, spéculativement. En fait, rien n’était plus faux «
Lorsque au XVIIe siècle, on s’avisait d’avoir commerce avec une dame, on imaginait des échanges mondains et amoureux pour lesquels il convenait d’ajouter quelque commerce de cadeaux signe de ce désir de rencontre. En cette fin du XXe siècle nos élites ne voient de salut que dans la consommation monétarisée et peut-être bientôt obligatoire (il paraît de plus en plus incivique de ne pas changer sa voiture au bout de 5 ans). Notre dernier espoir pour éveiller ce désir de consommer réside dans les qualités pulpeuses de quelque dame payée pour nous persuader que notre bonheur vient de la répétition infinie du commerce des choses. Et lorsque le marché est important, la dame peut y être servie comme petit cadeau accessoire
Cependant, la circulation des choses restant encore liée à la pesanteur matérielle des objets, nous nous livrons de plus en plus au commerce d’argent, rendu d’autant plus aisé qu’il a définitivement rompu tout lien avec la « matière ». Lorsque le 15 août 1971, Richard Nixon décide la suspension de la convertibilité du dollar en or, le « commerce » pouvait larguer ses dernières amarres avec quelque réalité que ce soit. Dès lors l’échange, privé de qualité de signe de commerce entre les hommes et de commerce des choses pouvait enfin habiter l’univers de la spéculation. Et les experts nous expliquent qu’il s’échange par jour 50 à 100 fois plus de signes monétaires que de « choses » dans le « temps réel » des réseaux informatiques mondiaux. Celui qui « s’enrichit » aujourd’hui ne l’est certainement plus de culture ou d’amour définitivement relégués dans le dérisoire, il l’est de moins en moins dans la fabrication des choses fût-ce au prix de l’exploitation des hommes , il l’est dans la « spéculation » , c’est à dire, selon l’étymologie du mot, dans la « contemplation », la fascination et la liturgie spéculaire du symbole monétaire. Mes vieux maîtres nommaient cette fascination « idolâtrie » et m’expliquaient que le signe infaillible de l’idole c’est qu’elle rend « bête », c’est à dire qu’elle stérilise toute pensée, et qu’elle rend « méchant », c’est à dire qu’elle sacrifie tout l’humain à sa contemplation spéculaire.
Il en est de même d’ailleurs de l’histoire des systèmes de pensée qui s’inaugure dans l’échange (la première œuvre philosophique de l’Occident a pris la forme des « Dialogues » de Platon) et finit dans la spéculation des scolastiques où la pensée, loin de servir l’échange humain, devient à elle même sa propre finalité dans une variété infinie de procédures, de jeux et de constructions. Quand la pensée spéculait sur le sexe des anges, les barbares n’étaient pas loin.
La mondialisation et la financiarisation du monde ont réduit nos chefs de gouvernement au statut de sous-préfets d’arrondissement de l’univers et nos élites, à peine remises de leur gueule de bois des lendemains qui n’ont pas chanté, en hérauts d’un « marché » qui n’est qu’un supermarché sans régulation. Nos responsables politiques, devant des flux mondiaux qu’ils commentent à défaut de les gérer, se livrent à l’exercice immortalisé par la phrase fameuse de Cocteau dans Les Mariés de la Tour Eiffel: « ces mystères nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs ». Déréalisation du politique et de l’économique au nom des jeux monétaires posés comme la raison ultime du monde et la religion de son destin: voilà ce qu’il nous est proposé comme évidence de l’échange humain.
Ce que nous avons appelé « productivité » a consisté à séparer au maximum ce que le « marché » au sens de Braudel, reliait, à savoir l’échange humain et le commerce des choses. C’est ce que m’avait fait comprendre une employée de banque, il y a un quinzaine d’années. Chaque semaine une petite vieille venait voir si sa pension trimestrielle était arrivée et cette guichetière pensait important d’accepter ce prétexte pour échange. Depuis, les auditeurs internes formés dans les meilleures écoles de la République ont mis bon ordre à ces dérives en ramenant à la logique de la productivité la guichetière ayant étourdiment mêlé un échange interpersonnel et une activité économique. Quant’à la personne âgée, elle est priée d’utiliser sa carte de crédit pour vérifier, plusieurs fois par jour si çà lui chante, l’arrivée de sa pension. Et si elle manque des échanges humains portés par le « commerce » de sa pension, il ne lui reste plus qu’à devenir un « gisement d’emplois » pour » service de proximité”. Des métiers fuyant dans une pureté janséniste de « l’économique » juxtaposés à des métiers du « social » en quête d’une impossible identité, et qui ont en commun un appauvrissement humain généralisé, tels sont les résultats de nos spéculations.
Au moment où la société française risque d’étouffer entre la scolastique des avantages acquis et l’idolâtrie monétaire, il nous reste à « tenter de vivre » entre ces crispations et de retrouver le goût de réconcilier l’échange des choses et le commerce entre les hommes. Les spécialistes de la gestion des ressources humaines ont bien essayé dans les entreprises; mais, lorsque tout le monde avait enfin compris leurs recommandations, commencèrent les charrettes des « plans sociaux » et le ricanement des directions financières face aux velléités humanistes des directions des ressources humaines.
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Aujourd’hui, une source majeure de régression sociale vient de la spéculation financière qui se déploie dans le monde entier. Au nom des intérêts privés des détenteurs de capitaux, non seulement des pans entiers d’économie sont sinistrés, mais des pays sont déstabilisés comme le montre la crise asiatique, puis russe et maintenant sud-américaine qui affecte la planète. La reconquête par les citoyens du pouvoir politique sur une spéculation financière sans foi ni loi constitue une priorité. Voila pourquoi, avec des amis du Monde Diplomatique, Charlie Hebdo, Politis et Transversales, nous avons créée l’ONG ATTAC (Association pour la Taxation des Transactions financières pour l’Aide aux Citoyens) De nombreuses organisations militantes et syndicales nous ont rejoint. Et un grand mouvement d’adhésion se manifeste dans tout le pays.
Au plan local, on pourrait évoquer toutes les initiatives d’épargne alternatives et solidaires, les placements éthiques, les Cigales. Le monde anglo-saxon a inventé les L.E.T.S., en France apparaissent les S.E.L. (Système d’échange local) où se dessinent de nouveaux rapports d’art de vivre entre l’économique, le financier et le social. Pour l’instant, les défricheurs de ces nouveaux espaces paraissent au mieux comme les danseuses du système ou plus simplement comme de doux rêveurs. Et pourtant, bien plus que dans les colloques toujours recommencés et les changements de look de vieux partis fatigués se travaillent là, concrètement, les nouvelles formes de l’art politique et de la citoyenneté sociale
Par delà la double crispation sur les « avantages acquis » et sur la « rente”, ces expériences ouvrent, avec mille difficultés et malgré le scepticisme rigolard des gens en place, de nouveaux chemins. Il ne s’agit pas de refuges pour enfants gâtés post soixante-huitards ni d’univers clos et sectaires attirant de plus en plus de personnes paniquées par l’effondrement du plein emploi. Le but premier est bien d’habiter autrement la mondialisation qui reste un espace de liberté. Le marchand et le banquier ont souvent été en avance sur le politique pour faire éclater des espaces clos. Faut-il encore que le politique soit à la hauteur des nouvelles frontières et sache imaginer des médiations entre le local et le mondial. Il s’agit d’échapper à la fois au refuge sectaire dans quelque phalanstère hors du temps et à la condition « moderne » d’individus ballottés au hasard des crises monétaires d’une spéculation mondiale sans foi ni loi dont les prouesses de Georges Soros sont une des plus convaincantes démonstrations
Dans cette phase historique de rupture majeure entre l’échange entre les hommes et l’échange des choses, les inventeurs évoqués plus haut cherchent à créer des zones civilisées d’un « nouveau commerce ». Refusant l’asservissement généralisé à des flux impersonnels, ils constituent de ces « groupes-sujets » que souhaitait Guattari où, à plusieurs, ils se donnent des règles d’art de vivre le temps, l’espace, l’échange, la monnaie, la consommation. Ils ne se coupent pas de la totalité du monde, mais souhaitent l’habiter en redonnant sens à de l’échange qui ne soit pas seulement monétaire. En effet, celui qui n’a plus accès à l’échange monétarisé se trouve condamné à l’assistance ou peut-être bientôt au travail obligatoire. Si la démocratie et la citoyenneté ont un sens, elles posent en principe que tout être humain peut apporter quelque chose à l’échange public. Déjà, les Réseaux d’Échanges Réciproques des Savoirs initiés par Claire Heber-Suffrin démontrent, au plan des apprentissages, la capacité de tout être humain d’enseigner quelque chose à quelqu’un. Les S.E.L. s’efforcent de réinventer des capacités concrètes d’échange accessibles à tous, y compris pour les exclus de la spéculation régnante qui ne leur laisse le choix qu’entre la résignation à la misère où le refuge dans l’assistance. Au lieu d’attendre « ce qui va arriver », ils tentent, dès aujourd’hui, de résister à la barbarie c’est à dire à un espace où il n’y a ni sens, ni loi.
Bernard GINISTY
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Les Eglises et les Sociétés
(Conférence pour le 20e anniversaire de « La petite vigne » le 22 mai 1999 à Bennwihr)
Lors d’une rencontre avec des moniales du Carmel de Mazille, un participant d’un groupe dont je faisais partie s’adressait ainsi à une carmélite. « Vous avez de la chance de vous être retirée du monde. Pour nous, c’est plus difficile de vivre la foi dans le monde ». Alors, la religieuse partit d’un grand éclat de rire en disant « mais si nous ne sommes pas dans le monde, où donc pouvons-nous bien nous nous situer ? »Je voulais mettre ce type de propos en exergue des quelques réflexions que je vais vous proposer. En effet, croire que, parce qu’on est chrétien, on vivrait ailleurs que dans le monde serait une très dangereuse illusion.
Autre préalable. Je n’aime pas le mot Eglise au singulier. La réalité vécue montre qu’il y a des églises et aucune d’entre elle ne peut prétendre s’égaler à elle seule la totalité de que les théologiens appellent le Corps mystique du Christ. Il s’agit de communautés qui se réclament de l’Evangile et qui devraient vivre entre elles dans la charité voulue par le Christ. Et c’est dans l’exercice de cette charité et non dans des revendications de pouvoir, que leur témoignage peut prendre sens.
Je traiterai le sujet en trois parties. Tout d’abord, j’analyserai un certain nombre de rapport pervers entre Eglises et société. Dans un deuxième temps, je tâcherai de mettre en lumière comment les églises peuvent être des sources de vie pour les sociétés modernes. Enfin, j’évoquerai trois problématiques modernes (la pensée unique, la crise du militantisme et l’exclusion) où ce rapport églises monde peut se révéler fécond.
1 – Les formes perverses des relations églises-monde
11 – La figure sectaire
Dans ce premier cas de figure, les églises seraient ces lieux « coupés », forteresses assiégées dans un monde voué au mal. On s’installe alors dans le manichéisme. On distribue allègrement le bien et le mal en s’identifiant au bien. On oublie la parabole de l’ivraie et du bon grain. Ce fut par exemple le cas l’Eglise catholique à l’époque du Syllabus, ou encore celui des dérives fondamentalistes d’autres églises.
La secte est le lieu qui vit de la peur, alors que le thème central de l’Evangile, repris souvent par Jean-Paul II est : « N’ayez pas peur ». Elle devient un syndicat de défense mutuelle contre la solitude, la transcendance et la mort, c’est à dire contre l’accès de chaque être humain à son identité personnelle : une personne originale et non le clone d’un clan, un être de désir qui remet sans cesse en cause ses acquis et non un être fermé sur des certitudes définitives, un être mortel, c’est à dire un être qui vit dans le don de la vie qu’il accepte de recevoir et de rendre, et non dans une fuite de sa finitude à travers une imaginaire survie groupale.
Le Christ a passé son temps à réagir contre la transformation de sa religion de naissance en secte, et c’est pourquoi il a été tué. A ceux qui se réclamaient auprès de lui de la filiation abrahamique, le Christ répond : « des pierres que voici, Dieu peut faire des fils d’Abraham ».Le Christ apparaît moins comme un fondateur de religion que comme celui qui invite à interroger radicalement toutes nos religions de naissance à travers une aventure personnelle. A ceux qui veulent l’enfermer dans la descendance abrahamique, il répond : « Avant qu’Abraham fut, je suis “. La théologie traditionnelle y voit la revendication d’un statut divin. Mais tout homme doit un jour prononcer cette phrase par laquelle il ne se réduit pas à sa généalogie et reconnaît le don de sa filiation divine.
22 – La figure totalitaire
Dans cet autre type de relation, au lieu de se replier sur un pré carré, les églises peuvent avoir la tentation de régenter la totalité du monde. Au nom d’une catholicité mal comprise, on entreprend de convertir l’humanité entière avec le rêve subtil de la soumettre à un pouvoir clérical. On voit régulièrement réapparaître ce type de tentation avec la nostalgie de la chrétienté, bien souvent d’ailleurs reconstruite après coup et dont les historiens nous amènent à considérablement relativiser le caractère idéal.
Ici, il y a un télescopage entre des églises provisoires, pérégrinantes et le Royaume de Dieu, réalité eschatologique de réconciliation universelle des êtres et du monde. Au lieu de favoriser les évolutions et les cheminements, on va enfermer la pensée dans un dogme qui n’est plus un moteur de recherche mais une clôture intellectuelle, une morale qui juge au lieu d’interroger chacun, un ordre clérical ou le bras séculier serait chargé de réaliser le royaume de Dieu. Dès lors se légitiment croisades, guerres religieuses, persécutions au nom de la « vraie foi » ou du « vrai Dieu ».
On ne dira jamais assez à quel point l’espace laïc qui sépare les pouvoirs religieux de celui des sociétés politiques est fécond pour les itinéraires spirituels. Comment ne pas rappeler cette parole d’un Pasteur protestant du siècle dernier : « Si Dieu existe, il est le Dieu de tous les hommes, il est donc laïque. C’est l’homme qui est religieux ». Car la laïcité n’est pas un pis aller, elle est le lieu de la responsabilité : « Je suis intimement convaincu que le christianisme a besoin de la laïcité, de sa vigilance critique, de son attention aux droits de l’homme, en un mot de son sens aigu des valeurs républicaines. Je les vois bien, ensemble, replonger dans un terreau sémitique commun, réentendre le « tutoiement des prophètes », accueillir la protestation de Job et retrouver le sens biblique de la responsabilité »
31 – La figure évanescente
Dans cette troisième figure, les églises se dissolvent peu à peu dans les réalités mondaines. Ce peut-être au niveau local ou national. Ces situations peuvent devenir meurtrières lorsque les églises justifient les pires nationalismes. L’histoire est remplie de massacres opérés au nom de “ notre Dieu ”. “ Catholique et français toujours ”, disait le vieux cantique ; “ Gott mit uns ” figurait sur le ceinturon des soldats nazis ; “ la grécitude, c’est l’orthodoxie ”, a déclaré le parlement grec ; et enfin “ In God we trust ” proclame le roi dollar ! Les pouvoirs ont toujours cherché dans l’identité du dieu local la justification à leur paranoïa. Dernier épisode en date, à nos portes, dans les Balkans.
Une autre figure de l’évanescence consiste à se laisser dissoudre dans une mondialisation sans repères. Les églises deviennent des ONG ayant statut à l’ONU. Elle ne sont plus porteuses d’interrogations radicales, mais se considèrent comme un élément du champ de la culture. Dans cette attitude, les chrétiens oublient ou n’osent plus témoigner de la radicalité de la grâce dont ils sont porteurs. Ils se résignent, faute d’être le sel de la terre, à n’être plus que le décor religieux en trompe l’œil des salons où l’on cause.
La multiplication des informations risquent de paralyser les identités comme le note Gabriel Ringlet : « Face à ce qui apparaît bien comme une mutation générale du croire, les identités sont hésitantes, morcelées. Les institutions s’équivalent. On ne prend pas position (…) C’est le règne de l’adoucissant et de l’idéologie ramasse-tout (…) Croyances et pratiques deviennent interchangeables (…) J’aime entendre à ce propos la formule percutante du théologien orthodoxe Olivier Clément : L’homme ne se sauve pas en se dissolvant »
Points communs à ces trois figures perverses :
Ce qu’il y a de commun à ces trois figures, c’est la peur ou le refus de l’autre qui traduit corrélativement la difficulté d’être soi. Il ne peut y avoir de charité qu’entre des personnes assumant leur singularité. Or, faute d’assumer cette douloureuse et longue auto gestation de soi-même, on dérive dans le refus de l’autre. Emmanuel Levinas nous a montré comment l’essentiel du projet de la philosophie occidentale résidait dans cette volonté de réduire l’Autre au Même. Dans la préface de son maître-ouvrage : Totalité et Infini, Emmanuel Levinas met d’emblée en rapport violent trois notions la totalité, l’être et la guerre. : « La face de l’être qui se montre dans la guerre, se fixe dans le concept de totalité qui domine la philosophie occidentale (…) Les individus empruntent à cette totalité leur sens (invisible en dehors de cette totalité) » Au lieu d’accueillir l’autre comme capacité de faire éclater ma totalité actuelle, je le réduis par la connaissance. Et lorsque la connaissance ne suffit plus, c’est la violence et la guerre qui sont utilisés.
Dans sa fameuse pièce de théâtre intitulée La Leçon, Eugène Ionesco, impitoyable analyste des absurdités de l’époque, met en scène un professeur tellement obsédé par la nécessité pour son élève d’apprendre, qu’il finit par la tuer. Et lorsqu’on l’interroge sur son acte, il se justifie en disant: » Ce n’est pas ma faute! Elle ne voulait pas apprendre ! ».
Ce refus de l’Autre génère alors les comportements de refuge dans du sectaire, de violence dans le totalitaire, ou d’abandon dans l’opinion et la pensée unique. Or s’il y a un message du Christ a chaque page de l’Evangile, c’est de faire naître des « sujets », c’est à dire des « fils » et des « frères », et non des adhérents moutonniers demandant à des institutions d’assumer à leur place leurs responsabilités spirituelles et politiques.
2 – Les aspects féconds du rapport églises société.
On l’aura compris, il n’y a de rapports féconds possibles qu’entre deux personnes ayant assumé leur singularité et capables de respecter l’autre dans sa diversité. C’est à dire qu’au nom de l’Evangile, il n’est pas possible de faire l’impasse sur la re-création, la renaissance, le « baptême », bref tout ce qui nous fait passer de la condition de « pierre » (« Des pierres que voici, Dieu peut susciter des fils d’Abraham ») à celle de sujet.
Un épisode capital de Jean nous montre cette pédagogie du Christ. C’est l’histoire de Nicodème, un intellectuel intéressé par ce que dit le Christ, mais qui craint de se compromettre et va le consulter de nuit. Nicodème pense qu’il va échanger avec quelqu’un d’original, qui va élargir son champ de vision et apporter quelques ajouts à sa son système de pensée. Mais au lieu de discuter avec lui, le Christ lui dit : « A moins de naître de nouveau, nul ne peut voir le royaume de Dieu .Tu es maître en Israël et tu n’as pas la connaissance de ces choses !». Nicodème fait deux objections qui révèlent deux peurs : » Comment un homme vieux peut entrer une deuxième fois dans le ventre de sa mère» (peur de la régression), et «Comment un homme peut-il naître s’il est vieux ?» (peur du destin). Le Christ aggrave son embarras en lui disant qu’il s’agit de renaître de l’Esprit, « mais il souffle où il veut et si tu entends sa voix, tu ne sais ni d’où il vient ni où il va « . De quoi décontenancer tous les fabriquants de synthèses ! Cette idée : «Je suis trop vieux pour renaître» m’a beaucoup frappé. Cette Annonciation faite au vieillard d’engendrer apparaît tout au long de la Bible comme le signe messianique : Abraham et Sarah, la mère de Samson, de Samuel, les parents de Jean-Baptiste. Et donc, les églises ne peuvent exister de façon fécondes dans les sociétés que si elles sont des pépinières de « re-nés », de vivants. On peut alors envisager trois figures saines de l’interface.
21 – La déconstruction des idoles
Au niveau religieux, comme, si nous en croyons Hegel, au plan philosophique, Abraham reste la figure majeure. Il quitte son pays, sa famille ses dieux pour aller vers l’inconnu. Et un Père de l’Eglise commente : « Abraham partit sans savoir où il allait, c’est pour cela qu’il savait qu’il était dans vérité ». Refusant la totalité d’un savoir qui coloniserait l’avenir a priori, il s’affronte à l’inconnu, à l’étranger. Et, dans la traduction au plus près de l’hébreux que nous restitue Marie Balmary, on lit à la suite de l’injonction « Quitte ton pays », l’indication « va vers toi ». Il y a là deux attitudes fondamentales devant l’existence que Levinas a symbolisées par l’Odyssée et l’Exode. Dans le poème d’Homère, Ulysse part pour des aventures, mais revient au point de départ. Et il est d’ailleurs reconnu au début, même pas par un homme, mais par le flair d’un chien. Ainsi l’aventure est un retour à la sensualité « du corps d’origine ». Quant’à l’Exode, celui d’Abraham ou de Moïse, c’est le départ pour ne pas revenir. Et certes, dans le désert des itinéraires, la nostalgie des « totalités » oppressantes mais protectrices de l’Egypte va tarauder les Hébreux. Mais ils sont définitivement sortis.
Dans la tradition judéo-chrétienne, le rapport à Dieu se vit moins comme possession de celui dont le nom est imprononçable et dont Jean nous dit que « nul ne l’a jamais contemplé », que dans la critique des idoles. La Bible voit l’idole comme une construction faite de main d’homme et qui revient en boomerang vers lui comme un destin, l’homme ayant oublié qu’il l’a fabriquée. L’idole peut se définir « bête et méchante ». Bête par ce qu’elle ferme toute possibilité de penser hors de la pensée unique, dans ces « incontournables » chers aux technocrates. Méchante parce qu’elle tend à nous faire voir le malheur des autres comme un destin auquel on ne peut rien. Et c’est donc par la déconstruction de la fascination de l’idole que le chrétien peut contribuer à libérer les sociétés.
De ce point de vue, le Christianisme doit rester fidèle à ses origines juives et continuer la lutte contre les idoles. Non seulement vis à vis des idoles mondaines, mais aussi par rapport à la tentation de faire de son église une idole. En ce sens, le rapport au judaïsme reste capital. Dans la préface du livre de Stéphane Moses Système et révélation, qui analyse l’ouvrage de Franz Rosenzweig, L’étoile de la Rédemption, Emmanuel Levinas écrit : « I1 y aurait entre chrétiens et juifs l’intimité la plus grande. Elle est autour de la vérité. Non pas le simple partage de quelques idées, non pas la continuité d’une histoire où les uns reprennent ou renouvellent les opinions des autres. Vérité ne signifie plus énoncés et affirmations mais un événement et un drame eschatologique qui se déroule. I1 s’agit d’une vérité qui est d’autant plus vraie que les partenaires du drame sont appelés à des rôles différents. L’absolument vrai se scinde, par sa vérité même, en judaïsme et christianisme et se joue dans leur dialogue ».
Après des siècles d’ignorance et de persécutions, l’Église catholique devait réaffirmer à Vatican II ce que Paul évoquait au chapitre XI de l’épître aux Romains, à savoir le rôle permanent d’Israël. Lorsque la fascination de l’image du tout remplace l’humble et laborieuse tâche de l’intersubjectivité, on est près à tous les « cultes idolâtres ». Dès lors, les instincts sont lâchés, les vieilles voix païennes se réveillent, celles du sang, de la race, de la religion, de n’importe quoi qui puisse éviter la rencontre du manque, de “ l’inter-dit ”, de l’Autre.
L’histoire du christianisme comporte à la fois des poussées païennes et des ruptures prophétiques. Les noces baroques du paganisme et du christianisme dans la Rome de la Renaissance, comme l’appel au désert qui, des Pères du désert à Charles de Foucauld, retentit dans la conscience chrétienne, font partie du patrimoine chrétien. Et, s’il est difficile de ne pas voir l’idolâtrie du pouvoir chez Jules II, à Saint-Pierre de Rome, la quête solitaire du désert peut parfois en cacher de plus subtiles.
Tension entre le messianisme de l’esprit qui se sent toujours du mouvement pour espérer plus loin et la fringale de l’extase immédiate dans la splendeur du divin, le lieu du pèlerinage chrétien ne saurait être que l’histoire. Délogée de la tranquille possession de soi des sagesses païennes, la conscience chrétienne connaîtra sans cesse la tentation de l’arrêt idolâtre. Le fameux “ arrête-toi, instant qui passe, toi qui es si beau ” de Faust ne répond-il pas en écho aux propos de Pierre, lors de la Transfiguration : »Il est heureux que nous soyons ici, faisons ici trois tentes. » Et l’évangéliste ajoute : “ Il ne savait pas ce qu’il disait. ” Au moment même de la tentation de la saisie du divin, la voix se substitue au voir.
22 – Un creuset de vie fraternelle
Le siècle qui s’achève aura vu le face à face de deux systèmes qui ont incarné deux exigences de la modernité : celle de la liberté et celle de l’égalité.
La liberté, a été surtout celle d’entreprendre, celle du marché. L’égalité, fut le combat de ceux qui ont demandé à l’Etat la justice que la jungle des libertés laissées à elles-mêmes est incapable de promouvoir.
En cette fin de siècle les héros sont fatigués. Les premiers à baisser les bras ont été les combattants de l’égalité à travers le socialisme d’Etat qui a conduit à la médiocrité et la dictature d’apparatchiks totalitaires. Quant aux hérauts du marché, ils voudraient nous faire croire qu’ils ont gagné. Or, crises boursières à répétition, fracture sociale grandissante dans les pays développés, pollution généralisée de la planète, dictature du seul profit à court terme, font que les victoires boursières et entrepreneuriales apparaissent de plus en plus comme des défaites de l’humain.
Au fronton de nos mairies, après les mots égalité et liberté, il y a celui de fraternité. Nous avons pensé qu’il s’agissait d’un vœu pieux. Or, les combats toujours nécessaires pour la liberté et l’égalité, sans une fraternité concrète, deviennent stériles et mortels!
La force de la fraternité, c’est celle de l’Evangile. C’est avec une formidable naïveté, qui a la force et la fragilité de toute naissance, que nous osons ce risque de la de la fraternité. Si les Etats peuvent légiférer sur la liberté et l’égalité, la fraternité ne se décrète pas. Non seulement elle ne se décrète pas, mais elle trouve ses sources dans la dimension spirituelle de la personne sous peine de se perdre dans les caricatures de l’embrigadement des partis, les sectes et toutes sortes de refuges identitaires.
Cette référence chrétienne, vécue sereinement dans un espace laïc, invite chacun à retrouver sa propre « mystique ». Quand l’être humain se risque à ce qui le passionne, alors s’inventent, entre gens très différents, des fraternités fécondes. Par là, des chrétiens peuvent être des créateurs d’espaces micro-sociaux médiateurs. Il est fondamental aujourd’hui de créer des espaces, des temps, des lieux, des rythmes, des relations qui ne reproduisent pas l’ordre du monde, générateur d’exclusion. Mais ces espaces, loin de se fermer sur eux-mêmes, doivent vivre en réseau avec d’autres et s’ouvrir à la totalité du social. Au face-à-face mortifère de l’individu et de la société, il nous faut substituer des lieux différents où peuvent naître des sujets et se vivre des relations différentes. Il faudrait reprendre ici, dans un nouveau contexte, les analyses menées par E. Mounier et Jean Lacroix sur le « personnalisme communautaire » qui me paraissent une alternative aux refuges sectaires et à la jungle néo-libérale. Si j’ai bien compris le projet de La Petite Vigne, c’est bien celui d’un des ces espaces ou se créent de la rencontre, de la fraternité, de la formation, de la convivialité. Ces lieux sont souvent peu médiatiques. La Presse se vend avec les banlieues qui brûlent, et non avec les centaines d’associations qui font que des centaines de banlieues ne brûlent pas ! Chacun peut repartir pour les combats de la liberté et de l’égalité s’il sait qu’il est porté par un lieu de fraternité.
23 – Des lieux de naissance de sujets
Si la Résurrection constitue le coeur de la foi chrétienne, elle déstabilise les ordres qui prétendraient enclore la vie de l’homme. Elle est l’invitation faite à chaque être humain de renaître, ce que le Christ apprend à un maître en Israël tout étonné, Nicodème. L’histoire de Jésus ne se réduit pas à la pitoyable aventure d’un de ces innombrables candidats messie prospérant sur les malheurs et les espoirs du temps. Or, jusqu’au bout, ses disciples ont cru que ce leader leur offrirait enfin les bonnes places ! Aussi quel désenchantement, surtout lorsqu’il leur annonce que s’il ne part pas, ils n’accéderont jamais à l’Esprit qui rend libre : « C’est votre avantage que je m’en aille ; en effet, si je ne pars pas, l’Esprit ne viendra pas à vous »
Ce grand malentendu, qui mène Pierre, le futur premier pape, au reniement, et Judas, le gestionnaire, au suicide, ne cesse d’être la tentation permanente des Eglises. Au lieu de se définir comme rampes de lancement pour les aventures de la fraternité universelle, elles se réduisent trop souvent à des institutions qui enferment dans des morales, des sécurités, dans un entre-nous dégoulinant de vertueuses certitudes.
Le Passeur de Pâques nous réveille de ces endormissements. Il désespérera toujours les hommes de pouvoir et de gestion, fussent-ils religieux. Il est celui qui dérange absolument car il fait éclater les chrysalides qui voudraient épargner aux papillons le risque de naître. Comment ne pas penser ici à l’admirable ouvrage de Jean-Dominique Bauby, ce journaliste frappé par un mal implacable qui ne lui laisse comme expression qu’un battement de paupière. Et ce battement lui donne accès à une parole jamais atteinte dans ses précédents écrits.
Les matins de Pâques sont aussi fragiles que des jeunes pousses de printemps. Tout Jérusalem ne fait que parler de l’exécution de celui qui, un temps, avait apporté de l’espoir. Et les voyageurs d’Emmaüs ruminent leur désillusion. Nous pouvons aussi passer notre vie à ressasser nos espoirs perdus. Pâques nous invite au surgissement. Il n’a pas le fracas des triomphes des puissants, mais la vigueur entêtée de l’enfance. Des femmes montrent le chemin des renaissances à ceux qui se sont bouclés dans leur Cénacle. Celui qu’elles voudraient encore définir comme le « gardien du jardin » de leur univers rétréci, les ouvre à la vie la plus grande: « ne me retiens pas… Pour toi va trouver des frères ».
Après l’expulsion du premier jardin, l’Eden de nos naissances charnelles, il nous faut quitter celui de nos constructions humaines. Pâques ouvre l’humanité au grand souffle des exodes de l’Esprit qui envoie « dans le monde entier proclamer l’Evangile à toutes les créatures ». Cet Evangile, cette nouvelle bonne, c’est le cri de Paul « Mort où est ta victoire ? » qui libère « ceux qui , par crainte de la mort, passaient toute leur vie dans une situation d’esclave ».
Si la définition du chrétien est d’être « témoin de la Résurrection », alors les églises ont pour tâches premières d’engendrer des vivants, qui n’ont pas peur du risque de vivre et d’aimer par delà le désarroi d’une société minée par ses angoisses et ses obsessions sécuritaires.
3 – Quelques lieux majeurs aujourd’hui du rapport Eglises monde
31 – La lutte contre la pensée unique
La plus grande déstabilisation mondiale depuis plus d’un an est perpétrée, non par des barbus illuminés, mais par de très « civilisés » opérateurs des marchés financiers. Derrière ce qu’on appelle pudiquement la crise financière sud asiatique, puis japonaise, ensuite chinoise, maintenant russe et bientôt sud-américaine, ce sont des millions de vies broyées du soir au lendemain dont il s’agit. Des salariés jetés dans un chômage sans protection, des poches de disette apparaissant là où les ayatollahs de la pensée unique chantaient les prouesses des « Dragons ».
Mais qui sont ces « terroristes » dévastant des pans entiers de la planète et dont l’action commence à se faire sentir dans les Bourses européennes qui, jusqu’à présent, se frottaient les mains de déboires asiatiques créant chez elles un afflux de capitaux ? Ils prennent pour la presse la figure de spéculateurs mondiaux. Cette analyse reste un peu courte. Tout acte« terroriste » renvoie à l’angoisse et à la peur du milieu qui l’engendre. La force de nuisance des grands opérateurs mondiaux est faite de la capitalisation de nos terreurs personnelles de perdre notre épargne. Le libéralisme triomphant a décidé de confier, non plus au lien social géré politiquement, mais à l’épargne, le traitement de notre peur de l’avenir et plus particulièrement de notre angoisse de vieillir. Il serait donc trop facile de nous défausser sur de vilains spéculateurs internationaux, comme si nos étions indemnes des pulsions qui engendrent leurs comportements « terroristes ». Gagner par l’épargne le plus, le plus vite et le plus sûrement possibles quels que soient les sinistres économiques et sociaux produits : tel est le credo engendré par notre peur.
« Voici un an le Bureau International du Travail (BIT) estimait que 5 millions d’emplois seraient perdus dans la crise asiatique. En fin d’année 98, il parlait de 10 millions. Aujourd’hui ses experts tablent au bas mot sur 25 millions de chômeurs supplémentaires « . Ceux qui vivent avec moins de 1 dollar par jour sont passés de 11% en 1997 à 48% en 1999 en Indonésie. On ne voit pas quelle guerre « chaude » aurait pu réaliser la performance de détruire 25 millions d’emplois en moins de deux ans et ramener près de 50% de la population d’un pays à moins d’un dollar par jour.
Autres chiffres qui nous concernent plus directement. L’INSEE vient de publier les « Données sociales » pour notre pays, ouvrage que cet Institut publie tous les trois ans. Là encore, les performances des marchés financiers sont là. Les working poors, ces travailleurs vivant en dessous du seuil de pauvreté ne concernent plus seulement l’Amérique. Ainsi, la part des bas et très bas salaires dans le monde salarial est passée en France de 11,4% en 1983 à 15,1% en 1997. L’inégalité des patrimoines ne cesse aussi de se creuser. Aujourd’hui, 10% des ménages les plus riches possèdent la moitié des patrimoines.
Ainsi, pendant que les experts bavardent et se trompent régulièrement, les désastres sociaux ne cessent d’augmenter tant au plan mondial que national. Face à ces drames, les politiques français paraissent d’une frilosité remarquable. Rarement la pensée politique et la philosophie de la vie, véhiculées par les élites, auront été aussi indigentes que depuis ce triomphe de l’argent-roi.
Ceux qui ont cru à notre modèle de développement voient balayés leurs espoirs par les jeux impitoyables des marchés financiers. L’image de ces jeunes cadres de banques de Russie, brutalement licenciés et piétinant leur attaché-case et leur téléphone portable, signes de leur foi perdue dans le modèle libéral de développement, illustre cette rancoeur.
La fascination des élites pour cette lecture unique de la réalité faisant de la finance l’indicateur qui relativise tous les autres relève de l’idolâtrie. Et les invocations rituelles des hommes publics pour conjurer les fractures sociales rappellent l’agitation ridicule et inefficace des prêtres de Baal appelant la pluie. Il est urgent de désencombrer nos esprits des idoles ineptes et meurtrières pour retrouver les solidarités fraternelles sans lesquelles il n’est pas d’humanité possible. C’est donc à la lutte contre la réduction des existences humaines à des quantités monétarisées que doivent travailler de façon permanente les églises.
Tout d’abord, dans une société où la richesse est produite par moins de travail, la question de la redistribution devient prioritaire. Régulièrement, les « dépenses sociales » du pays font l’objet de critiques pour leur caractère croissant et l’irresponsabilité qu’elles susciteraient chez ceux qui en bénéficient. Les chantres de la « pensée unique » opposent alors à cette honteuse assistance la geste libérale des entreprises évoluant dans la pureté du marché et éloignée de cette quasi-mendicité dans laquelle se complairaient les assistés et ceux qui s’en occupent.
Des chiffres me paraissent devoir inciter à la réflexion tous ceux qui se préoccupent légitimement de ces questions. Le plan de recapitalisation de la société Air-France a coûté à la collectivité près de 20 milliards de francs pour sauver 40 000 emplois. Le million de bénéficiaires du R.M.I. nécessite un effort annuel de l’ordre de 20 milliards de francs. Le plan de sauvetage du Crédit Lyonnais coûte plus de 140 milliards, soit 7 ans de RMI ! Pourquoi certaines redistributions dites « économiques » seraient-elles nobles alors que les redistributions appelées « sociales » seraient honteuses ? Dans tous les cas, il s’agit bien de la vie et du bien-être des hommes menacés par les mécanismes du marché
Par delà ces exemples, c’est toute une représentation de l’économie et de la rémunération qui me semble devoir être posée. Quelle entreprise ne bénéficie pas d’une aide publique à un titre ou un autre ? Qui peut dire aujourd’hui de façon certaine, dans ce qu’il gagne, ce qui provient directement de son travail et ce qui revient de la redistribution? La revue Alternatives économiques rappelait que l’agriculture européenne est subventionnée en moyenne à 48%. Entrons dans le détail : aider un agriculteur européen à 48% pour qu’il puisse vivre décemment sur ses terres serait de la « politique économique ». Si le même agriculteur avait quitté le monde rural pour se retrouver chômeur en ville et réclamait 48% ou moins pour l’aider à créer une activité, les célébrants de la pensée unique le suspecteraient de réinventer un « atelier national « . Le cadre salarié qui est au chômage est-il « assisté » et le haut fonctionnaire qui retrouve la quiétude de son « corps d’origine » après des désastres politiques, bancaires ou managériaux dont il est responsable ne le serait pas?
Denis Olivennes écrit ceci: « Il faut avoir présent à l’esprit que pour près de 70% de la population (employés, ouvriers, inactifs), les prestations sociales sont supérieures aux rémunérations primaires (du travail et du capital) et représentent en moyenne 60% du revenu avant impôt » Si ces propos sont exacts, force est de constater que nos élites continuent de raisonner en fonction d’un monde dont le paradigme a déjà changé dans les faits. Les travaux de Guy Aznar sur le « deuxième chèque » me paraissent une piste intéressante à étudier pour bien signifier que chacun, d’une façon ou d’une autre, est déjà dans la redistribution. Le problème du chômeur, c’est qu’il n’est que dans la redistribution. Il faut donc aujourd’hui mieux répartir et l’accès de tous à un emploi salarié au moins partiel et l’accès à la répartition d’une richesse qu’il est de plus en plus difficile d’identifier comme appartenant à tel ou tel producteur.
32 – Réinventer du militantisme
Depuis des années, on se lamente sur la baisse du militantisme. Partis politiques, syndicats, mouvements de jeunesse voient leurs effectifs baisser et vieillir. L’exhortation aux mutations et militances nécessaires qui constitue le passage obligé de tout discours politique s’est laissée totalement envahir par le champ de la sociologie. Tout le jeu social se passerait entre fondés de pouvoir des fameuses CSP (catégories socioprofessionnelles). L’humain n’accéderait au champ de l’action publique que comme pure extériorité et toute référence à un sujet porteur de sens , de désir et de spiritualité serait pour le moins incongru et le plus souvent suspect aux yeux des professionnels de la politique. Certes, ceux-ci savent recourir à l’exhortation morale quand ils touchent aux limites de leur action. Quant’ au discours sur le « sens », il tient lieu trop souvent d’invocation rituelle plutôt que de travail de la pensée.
Cette conception d’une action publique faisant l’impasse sur la capacité pour l’homme d’être sujet se défait sous nos yeux et constitue une des explications les plus profondes de la panne du militantisme. Elle nous conduit à proposer de dépasser la militance en mutance. Mutance qu’est ce à dire ? Sinon que dans l’univers humain, il n’y a pas de transformation de la société sans une transformation de soi. Cette pratique politique de la mutance a été développée par René MACAIRE et plus récemment, par Blaise OLLIVIER, dans le monde de l’entreprise. Il y a déjà longtemps que les physiciens nous ont appris que la situation de l’observateur faisait partie de la « vérité » de l’expérience. Il est d’ailleurs curieux qu’à mesure que les sciences dites « dures » intègrent la subjectivité , tout un discours sociologico-journalistique vulgarise un certain positivisme social et occulte les lentes, laborieuses et indispensables mutations personnelles. A définir l’État, la Sécurité Sociale, les partis politiques, les syndicats comme pure extériorité , on ne peut que passer son temps à réclamer à ces structures des évolutions que nous nous refusons d’opérer . Plus encore, nous faisons comme si nous ne participions pas au blocage de ces institutions que nous dénonçons pour en faire des idoles tour à tour tutélaires ou menaçantes.
C’est ce que dénonçait avec beaucoup de lucidité, Vaclav Havel, actuel Président de la République tchèque, alors dissident pourchassé par le pouvoir totalitaire. Dans ces écrits de dissident, il ne cesse de dire que le totalitarisme contre lequel il lutte n’est pas tombé du ciel, mais qu’il résulte d’une secrète complicité de ceux qu’il oppresse : « Tout pouvoir est, jusqu’à un certain point, l’oeuvre aussi de ceux qu’il régente (…) Chacun est, par une partie de son être, un esclave opprimé, vivant dans la crainte des plus haut placés, mais en même temps, dans une autre partie de lui-même, l’oppresseur terrorisé de ceux qui relèvent de sa propre autorité ». Voilà pourquoi, il ne cesse de dire que le combat politique qu’il mène avec ses amis de la Charte 77 commence par la lutte contre l’autototalitarisme que consciemment ou non nous sécrétons. C’est ce qu’il affirme dans un très beau texte : « Il me semble que tous – que nous vivions à l’Ouest ou à l’Est – nous avons une tâche fondamentale à remplir. Cette tâche consiste à faire front à l’automatisme irrationnel du pouvoir anonyme, impersonnel et inhumain des idéologies, des systèmes, des appareils, des bureaucraties, des langues artificielles et des slogans politiques (…) à nous défendre des pressions complexes et aliénantes qu’exerce ce pouvoir, qu’elles prennent la forme de la consommation, de la publicité, de la répression, de la technique ou d’un langage vidé de son sens (…) à ne pas avoir honte d’être capable d’amour, d’amitié, de solidarité, de compassion et de tolérance, mais au contraire à rappeler de leur exil dans le domaine privé ces dimensions fondamentales de notre humanité et à les accueillir comme les seuls vrais points de départ d’une communauté humaine qui aurait un sens «
Paradoxalement, c’est d’un philosophe qui se déclare athée, Alain Badiou que nous vient une analyse des plus percutantes sur le renouveau du militantisme qui peut jaillir du Nouveau Testament, dans l’ouvrage qu’il a consacré à Saint Paul. « Paul n’est pas pour moi un apôtre ou un saint. (…) Paul est un penseur-poète de l’événement, en même temps que celui qui pratique et énonce des traits invariants de ce qu’on peut appeler la figure militante ». C’est par ces mots qu’Alain Badiou, philosophe, s’annonçant comme « héréditairement irréligieux » ouvre le petit ouvrage qu’il consacre à Saint Paul. Pour ce philosophe, très présent dans les combats sociaux d’aujourd’hui, ce travail sur Paul s’inscrit dans ce qu’il appelle sa « recherche d’une nouvelle figure militante, appelée à succéder à celle que mirent en place, au début du siècle, Lénine et les bolcheviks ».
Cette figure militante c’est celle de l’apôtre qu’il oppose aux deux autres figures dominantes de l’époque, le maître de sagesse et le prophète qui lit les signes du temps. Paul n’est en effet, ni l’auteur d’une construction intellectuelle, ni un témoin direct des faits évangéliques. Il est l’homme qui a fait « jusqu’à la jointure des os », l’expérience de la grâce. « Pour Paul, l’événement n’est pas venu prouver quelque chose, il est pur commencement ». Dès lors sa vision de l’être humain est celle d’un fils qui appelle Dieu Abba. La tache militante de Paul sera donc de relativiser les maîtres des savoirs grecs et de la Loi juive pour fonder l’égalité des fils dans ce qu’il appelle la folie de la Croix. L’événement de la grâce constitue le fondement radical du réel par delà les savoirs, les pouvoirs, les morales ou les races : « En tant que sujets à l’épreuve du réel, nous sommes désormais constitués de la grâce événementielle ». Cette grâce est la source de l’universalisme qui fera dire à Paul qu’il n’y a plus ni grec ni juif, ni homme, ni femme, ni esclave ni homme libre, mais des fils.
En fondant l’être humain dans l’événement de la grâce, et non dans des constructions intellectuelles, religieuses ou politiques, Paul annonce l’amour comme seule puissance universelle d’action. A la gratuité de la donation qui nous fonde ne peut que correspondre le travail de l’amour qui fait loi « pour que l’universalité postévènementielle de la vérité s’inscrive continûment dans le monde».
Je connais peu de lectures aussi stimulantes de l’univers de Paul que celle que nous livre cet athée. Lorsqu’il écrit : « il nous revient de fonder un matérialisme de la grâce par l’idée, simple et forte, que toute existence peut un jour être transie par ce qui lui arrive, et se dévouer dès lors à ce qui vaut pour tous, ou, comme le dit Paul magnifiquement, à se faire tout à tous » , il ouvre un champ à la militance où l’action , loin de se réduire à la pratique théorisée par les clercs des pouvoirs de toute obédience, constitue une source de signification. C’est bien dans l’Evangile qu’on peut lire : « celui qui fait la vérité vient à la lumière».
33 – Réponse à l’exclusion
Dans une société d’exploitation, l’esclave fait système avec le maître et la régulation passe par la correction des injustices de l’exploiteur. Mais, en quelque sorte, le système lui-même n’était pas en cause, seulement ses excès. L’exclusion pose une question plus radicale. Dans la cité grecque, il était plus grave d’être banni que d’être esclave. Ce qui est en cause, ce ne sont plus les excès du système, mais la cohérence même de son fonctionnement.
Dès lors l’attention à l’exclu ne saurait se suffire d’une correction fiscale ou d’un supplément d’âme prêché aux classes dirigeantes, mais elle met en cause ce que Maurice Clavel appelait « notre socle culturel ». C’est à une déconstruction des évidences que nous sommes conduits. Quand B. Perret et G. Roustang écrivent « l’économie contre la société », ils approchent de cette problématique en montrant que c’est la cohérence et le succès même du système (et non seulement son utilisation immorale) qui sont facteurs d’exclusion. Alors que l’exploitation créait du conflit et de la dynamique sociale, l’exclusion conduit les privilégiés à l’obsession de la sécurité et les exclus à l’implosion dans l’anomie, la déprime, la dérive sociale.
La financiarisation du monde qui surdétermine l’économie, me paraît encore plus grave. La spéculation mondiale à laquelle sont soumis Etats et entreprises, s’alimente de l’obsession monétarisée de la sécurité dont les fameux fonds de pension constituent le fleuron. Le règne de l’argent et de la rente traduit la crispation mortifère des inclus sur leur sécurité, dont le seul avenir est leur retraite. Quant aux exclus, loin de se constituer en force de combat, en « peuple » ils vivent leur exclusion dans l’individualisme, l’émiettement, les différentes implosions.
Nous touchons aujourd’hui la limite du traitement de l’exclusion par des « dispositifs » de la science sociale et du travail social. Les différents outils de l’Etat Providence, conçus comme la « voiture balai » d’une économie intégratrice, deviennent totalement disproportionnés par rapport à une économie qui défait du lien social. Dès lors, l’usage aseptisé d’outils professionnels au service des exclus devient dérisoire s’il ne s’ancre pas dans une démarche plus radicale. C’est ce qu’Emmanuel Levinas appelle « passer de la thématisation à la responsabilité » : « L’éthique, c’est lorsque non seulement je ne thématise pas autrui ; c’est lorsque autrui m’obsède ou me met en question. Mettre en question, ce n’est pas attendre que je réponde ; il ne s’agit pas de faire réponse, mais de se trouver responsable »
Il y a là un saut qualitatif à faire pour les acteurs sociaux. S’il est vrai que faire face à une société d’exclusion ne peut se réduire à redistribuer des «suppléments » d’âme, d’argent, de technique administrative, nous sommes conduits au devoir de repenser ce qui se donne comme les évidences du système. Il nous faut ici entendre la parole de l’Evangile, fondatrice de toute « bonne nouvelle » : « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle ».
S’il s’agit d’aider à la naissance de nouvelles socialités rendues indispensables par l’écroulement du paradigme économiste qui prétendait régir la totalité de la vie humaine, on ne saurait continuer à enfermer l’aide aux exclus dans le colmatage de plus en plus dérisoire des brèches de plus en plus béantes du tissu social. Certes, l’urgence existe, des hommes doivent être assistés chaque jour. Mais, par-delà ce soin social indispensable, nous avons à bâtir des modes collectifs de médiation sociale.
Si les chrétiens ne s’y engageaient pas, j’ai bien peur que ce soit un avenir « sectaire » qui se profile, tant se multiplie le nombre de nos concitoyens en perte de lien social. En effet, autant de nouveaux espaces microsociaux communautaires constitués en réseau peuvent engendrer une ouverture à la totalité de l’espace social, autant le repli identitaire sur du sectaire, qu’il soit racial, ethnique, géographique, religieux, politique,… nous conduirait à des « yougoslavies sociales ». Si la politique (polis = cité, en grec), par delà les jeux et les plans de carrière de ses professionnels, est bien l’art de vivre ensemble dans la cité, la création de nouveaux espaces de citoyenneté sociale est une urgence politique.
Si je mettais plus haut la fonction des églises de faire naître des sujets sous le signe de Pâques, c’est sous celui de Noël que je vous invite à penser la lutte contre l’exclusion. Noël célèbre la venue de celui pour qui il n’y avait pas de place dans les ordres établis. Sa naissance dérange les compromis politico-religieux et va mener Hérode, pour conjurer ce surgissement du neuf, à massacrer l’enfance. Quant’à l’économie marchande, son verdict est clair : « il n’y a pas de place pour eux à l’hôtellerie ». Que reste-t-il lorsque les ordres politique, religieux et marchand vous rejettent, sinon l’hospitalité des humbles, la grotte, refuge pour SDF, et la fuite quand les Etats deviennent meurtriers.
Noël annonce que le goût de naître est plus radical que la bêtise à front de taureau des pouvoirs établis. Son sens est d’échapper à la résignation qui refuse l’inattendu et se méfie de toute création. Cette résistance à l’entropie des mondes clos et des idéologies faisandées est tellement subversive que nous avons tenté d’ensevelir Noël sous des montagnes de victuailles, de bons sentiments et de sensiblerie afin de ne plus être dérangé. Dans le texte fameux de Dostoïevski, La légende du Grand Inquisiteur, le représentant de l’ordre théologico-politique, à qui on a déféré un doux trublion, reconnaît soudainement en lui le Christ. L’Inquisiteur exprime alors la panique de tous les pouvoirs : « Ne réponds pas, tais-toi. Pourquoi es-tu venu nous déranger ? » Hodie Christus natus est chante la liturgie de Noël : aujourd’hui le Christ naît parmi les exclus, les expulsés, les sans papiers, les endettés, ceux pour qui « il n’y a pas de place dans l’hôtellerie » de nos pays riches.
Conclusion : Naître de notre Père
Si le christianisme est autre chose qu’un supplément d’âme pour le crépuscule d’un Occident tétanisé, tel un vieillard possessif, sur ses conquêtes et ses délectations moroses, il peut, une fois de plus, annoncer une rupture vers une humanité qui crie sa faim. Car en christianisme, la vie sous le mode de la naissance, c’est la conscience et la participation à la filiation d’un même Père. Il me paraît particulièrement significatif que la seule prière que le Christ ait enseignée à ses disciples ne comporte pas le mot “ Dieu ”. Le Notre Père que nous “ osons dire ”, peut-être n’en mesurons-nous pas le caractère iconoclaste par rapport aux représentations du divin qui encombrent nos consciences.
L’adresse de cette prière commune à tous les chrétiens élimine trois expressions que l’on peut retrouver dans la piété religieuse : “ Mon Dieu ”, “ Notre Dieu ”, “ Mon Père ”. Dire “ notre Père ”, c’est congédier trois formes d’idolâtrie spirituelle dont les dégâts dans les consciences et dans l’histoire sont toujours visibles.
“ Mon Dieu ”, soupir de l’âme accablée vers une impossible transcendance, projection imaginaire d’un surmoi divinisé, dérisoire aveu de possessivité magique du tout, couronnement de l’odyssée solitaire d’une conscience ou secret espoir d’une révélation particulière, autant de dérives qui font que tant de chrétiens élevés dans la religiosité du “ Mon Dieu-Bon Dieu ” se sentent floués.
Et pourtant, sans attendre Freud, la tradition mystique chrétienne avait stigmatisé cette impasse :
“ Je prie Dieu qu’il me libère de « Dieu » ”
“ Le plus élevé et le plus extrême à quoi l’homme puisse renoncer, c’est de renoncer à Dieu pour Dieu ”
D’une façon plus radicale, Jean de la Croix exprime la “ folie ” de cette voie. Commentant le premier verset de l’épître aux Hébreux, il écrit :
“ L’Apôtre nous donne à entendre par là que Dieu s’est fait comme muet ; il n’a plus rien à dire ; car ce qu’il disait par parties aux prophètes, il l’a dit tout entier dans son Fils, en nous donnant ce tout qu’est son Fils. Voilà pourquoi celui qui voudrait maintenant l’interroger, ou désirerait une vision ou une révélation, non seulement ferait une folie, mais ferait injure à Dieu ”
“ Notre Dieu ” évoque les identités collectives qui se sont projetées sur cette expression. J’ai évoqué plus haut les désastres produits par cette identification de Dieu à un clan, une race ou un sol.
Enfin, l’expression de la prière du Christ n’est pas “ mon Père ”, mais “ notre Père ”. Au moment où est affirmé que la seule relation possible à Dieu, c’est la conscience d’être fils, la prière interdit une aristocratie de la filiation qui séparerait les “ élus ” des autres. L’attitude spirituelle juste, évitant l’écueil idolâtre, réside dans l’affirmation conjointe de la filiation et de la fraternité universelles. Affirmer l’un sans l’autre ne peut qu’être source de dérive. Une des tragédies du 20e siècle a été la séparation entre ceux qui ont voulu réaliser la fraternité universelle sans la filiation, et ceux qui se sont abrités des remous du siècle pour vivre, séparés, une recherche spirituelle.
Le message pascal que le Christ transmet à Marie-Madeleine est lumineux : “ Va trouver mes frères et dis-leur : je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu « . Il n’est plus possible d’isoler “ mon Dieu ” de “ notre Père ”. Et dès lors, en christianisme, il serait idolâtre que la recherche spirituelle découverte par le Christ sous le mode de la filiation ne se vive pas dans la fraternité des fils d’un même père. Et la construction de cette fraternité est une tâche éminemment politique
Le non sens saturé d’expertise, pensée unique de cette fin de siècle, s’épuise dans le désenchantement. Seules les rentes de ceux qui la célèbrent lui donne encore un semblant d’existence. Peut-être est-ce le moment d’écouter en nous, « ce rare enfant qui échappe au maître et à l’enseignement » comme le disait Claudel de Rimbaud. Il nous apprend que les cléricatures religieuses, politiques, économiques et universitaires restent impuissantes à colmater les surgissements sauvages de la grâce. Et c’est en restant fidèle à ce surgissement que ceux qui se disent chrétiens en Eglises seront des acteurs de vie dans les sociétés modernes.
Bernard Ginisty
Evangile de Luc : 3, 8
Evangile de Jean , 8, 58
Gabriel RINGLET : L’évangile d’un libre penseur Editions Albin Michel Paris I998, page 169
Gabriel RINGLET : Id. page 23
Emmanuel LEVINAS : Totalité et Infini Martinus nijhoff publishers The Hague 1984 p.X
Evangile de Luc : 3, 8
Evangile de Jean : 3, 1-11
Marie BALMARY : Le sacrifice interdit Editions Grasset Paris 1986 Cf. le chapitre V : « L’appel d’Abraham : va vers toi »
Première épître de Jean 4, 12
Emmanuel LEVINAS : À l’heure des nations, Éditions de Minuit, Paris, 1988. p. 179-180.
Evangile de Luc : 9, 33
Evangile de Jean : 16, 7
Jean Dominique BAUBY : Le scaphandre et le papillon Editions Robert Laffont Paris 1997
Evangile de Jean : 20, 15-17
Evangile de Marc : 16, 15
Première Epître aux Corinthiens : 15, 55
Epître aux Hébreux : 2, 15
Journal Le Figaro , 19 mars 1999
Denis OLIVENNES : « Pour un nouveau contrat social » in Revue Esprit, août-septembre 1994, p.67
Cf. Guy Aznar :Travailler moins pour travailler tous Paris Syros 1993
René MACAIRE : La Mutance, clef pour un avenir humain Ed. l’Harmattan, Paris 1989 et Pour une politique de l’avenir Ed. l’Harrmattan Paris 1996
Blaise OLLIVIER : L’acteur et le sujet. Ed. Desclée de Brouwer, Paris 1996
Vaclav HAVEL : Essais politiques Editions Calmann-Lévy, Paris 1989, p. 58-59
Vaclav HAVEL : Idem p.242-243
Alain BADIOU : Saint Paul. La fondation de l’universalisme Editions Presses Universitaires de France Paris 1997
Evangile de Jean : 3, 21
Bernard PERRET et Guy ROUSTANG : L’Economie contre la société Editions du Seuil Paris 1993
Emmanuel LEVINAS : Du Dieu qui vient à l’idée Editions Vrin, Paris 1986 page 156
Evangile de Marc : 12, 10
Evangile de Luc : 2, 7
Fédor DOSTOÏEVSKI : La légende du Grand Inquisiteur Editions Desclée de Brouwer Paris 1993, page 60
Maître ECKHART : Sermons Tome 2, Editions du Seuil Paris 1978, page 148
Id. Tome 1 p.122
JEAN de la CROIX : La Montée au Carmel in Oeuvres spirituelles, Editions du Seuil Paris 1964 pages 232-233
Evangile de Jean : 20, 17